L’info a dû secouer jusqu’aux fondations de la basilique Notre-Dame, à Montréal. Le géant canadien de l’énergie et de la finance Power se sépare de son journal La Presse, et le confie à une fondation sans but lucratif. Le groupe abonde cette fondation à hauteur de 50 millions de dollars canadiens, et compte ensuite sur le financement d’autres entreprises et de mécènes.
L’initiative s’inscrit dans un débat passionné au Québec, où les médias, en crise, se plaignent du fait que les géants du Web (Facebook et Google, notamment), « accaparent » 80% des revenus publicitaires canadiens, et réclament une augmentation des aides gouvernementales. Une problématique qui concerne aussi la France, où la rentabilité des sites d’info est rare ou fragile. Et où la bataille fait rage avec les GAFA sur la question des droits d’auteur .
Mais cette décision vient sans doute aussi du fait que le pari du « tout numérique » de La Presse n’est pas encore réussi : ce virage avait été amorcé en 2013, avec le lancement de l’application La Presse +, et s’est accentué fin 2017, avec la fin de la dernière édition papier, celle du samedi. Un bouleversement du modèle économique qui a tardé à porter ses fruits. Retour sur une aventure passionnante et passionnée.
« En tant que geek, je suis absolument impressionnée ! », s’exclamait une invitée radieuse, à la soirée de lancement de La Presse Plus, au New City Gas de Montreal, en avril 2013. Lumières rougeoyantes, tablettes exposées sur des tables de bois blond, « camelots » (vendeurs à la criée) en uniforme et casquette gris présentant fièrement l’application aux invités, petits fours originaux et discours volontaristes. La soirée de lancement fut à la hauteur des attentes du journal La Presse, qui s’orientait alors vers un modèle « sans papier » et 100% numérique. Cinq ans après ce lancement, la Presse a supprimé toutes ses éditions papier. Quel est le résultat de ce quitte ou double ? L’application a-t-elle inventé une nouvelle façon de lire la presse ? Son ergonomie a-t-elle séduit lecteurs et annonceurs ? Et, au fond, La Presse + est-elle rentable ?
1/ Le chiffre d’affaires et la rentabilité : opacité et omerta.
Question rentabilité, difficile de se faire une idée. Propriété de GCSV, filiale du géant de l’énergie Power Corporation (32 milliards d’euros de CA en 2017), le journal ne publie pas ses comptes. D’où une question de fond et d’actualité : faut-il se résigner à accepter cette omerta, au nom du secret des affaires, ou faut-il tenter malgré tout d’informer son lectorat en essayant d’estimer le chiffre d’affaires et la rentabilité d’une entreprise ? Les lignes qui suivent prennent le risque d’avancer une estimation, car nous ne voulons pas imprimer la phrase : « impossible de donnerchiffres, GCSV ne publie pas ses comptes. »
Estimation du CA : la méthode de « l’entonnoir »
Pour estimer le chiffre d’affaires de La Presse, il est utile de passer par la « méthode de l’entonnoir » -du haut vers le bas. D’abord, mesurer le chiffre d’affaires de la presse canadienne, puis celui de la presse québécoise, pour tenter enfin d’estimer les revenus de La Presse -avant et après le « tout numérique ».
Selon l’organisme Statistique Canada, la presse quotidienne avait généré en 2014 (avant le « virage tout numérique ») un chiffre d’affaires de 2,4 milliards de dollars canadiens (1,5 milliard d’euros). Soit 1,7 milliard pour la publicité (print et digital), et 737 millions pour la diffusion.
Descendons d’un échelon : si l’on prend en compte le poids du Québec dans le PIB du Canada, alors le Québec représentait environ 19,2% de ces 2,4 milliards, soit 482 millions de dollars. Descendons encore d’un échelon : en 2014, le tirage de La Presse représentait 21% de celui de la presse québécoise, selon une étude du Centre d’études sur les médias de l’Université de Laval (Québec).
En 2014, donc, avant le passage au « tout numérique », le CA de la Presse représentait probablement 21% des 482 millions de dollars du CA de la presse québécoise, soit environ 100 millions de dollars canadiens. Une estimation confirmée par un rédacteur du quotidien, joint par téléphone.
Estimation des coûts
Du côté des coûts : il est possible d’évaluer à 60 millions les coûts salariaux en 2014 (l’entreprise comptait alors 750 salariés), avec un salaire moyen estimé, de source syndicale, à 80.000 dollars par an -un chiffre cohérent avec l’estimation des salaires de la presse réalisée par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
Et l’entreprise dépensait jusqu’à 90 millions de dollars par an pour les coûts d’impression et de distribution (60 millions rien que pour l’impression, ce chiffre étant ensuite tombé à 10 millions quand seule l’édition du samedi fut imprimée). Les frais « hors salaires et impression/distribution », eux, peuvent coûter, pour une entreprise d’édition de presse quotidienne comme La Presse, pas moins de 50 millions de dollars, selon le site Statistiques Canada,
Depuis le passage au « tout numérique », la structure des coûts et des revenus a radicalement changé. Du côté des revenus, Guy Crevier a annoncé lors de la conférence de presse du 8 mai dernier que « La Presse a retenu 66% de ses revenus publicitaires ». Or, en restant fidèle à la « méthode de l’entonnoir », la publicité représentait 70% des revenus de la presse quotidienne du Canada en 2014 : si ce pourcentage reste le même pour le Québec et pour La Presse, celle-ci récoltait environ 70 millions de dollars de publicité -print et numérique. Si La Presse a conservé « 66% de ses revenus publicitaires » en supprimant la publicité « papier » et en passant au « tout numérique », alors ses revenus publicitaires devraient aujourd’hui s’élever à 45 millions de dollars environ.
Du côté des coûts, la suppression du coût du papier a réduit la facture de 80 à 90 millions de dollars, et la réduction des effectifs en 2015, a fait tomber la masse salariale à 48 millions environ.
L’équation est donc simple : en 2014, selon nos estimations, La Presse gagnait autour de 100 millions de dollars par an et en dépensait environ 200 millions. En 2016, elle ne dépense plus que 100 millions environ, et elle perçoit sans doute autour de 45 millions avec les publicités numériques de La Presse +, du site Web et de l’application La Presse Mobile.
Une dotation qui couvre un an de pertes d’exploitation
Grâce au passage au « tout numérique », ses pertes d’exploitation annuelles seraient donc passées de 100 millions à 55 millions de dollars, soit un allègement de facture de 45 millions de dollars par an. Si ces chiffres sont corrects, alors la dotation de 50 millions de dollars du groupe Power à la fondation qui abritera La Presse peut couvrir un peu plus d’un an de pertes d’exploitation.
Contactée pour savoir si ces estimations étaient pertinentes, La Presse nous a répondu que « La Presse a pour politique de ne pas dévoiler ces chiffres. Nous estimons cependant que vos estimations n’ont pas de bases crédibles et qu’elles ne peuvent ou ne devraient pas être présentées comme reflétant la réalité. » A quoi nous avons répondu que nous étions tout à fait disposés à les corriger si des chiffres plus précis nous étaient communiqués.
L’évaluation d’un universitaire
Autre évaluation : professeur de journalisme à l’école des médias de L’Université du Québec à Montréal (UQAM), Jean-Hugues Roy a répertorié les pertes de l’ensemble « autres filiales » (dont fait partie GCSV, qui possède La Presse), et ce groupe de filiales affiche des pertes de 122 millions de dollars pour les deux premiers trimestres de 2013 (quand le papier pesait encore lourdement sur les coûts), puis une perte annuelle moyenne de 67 millions de 2014 à 2017. Reste à savoir si Le Presse était la seule entité ou non à afficher des pertes dans ce groupe « autres filiales ». Notons que la direction de La Presse a qualifié cette dernière estimation de « folklorique » mais, à notre connaissance, « folklorique » n’est pas synonyme de « faux », « erroné » ou « inexact ».
Actuellement, la rentabilité ne semble donc pas encore assurée : « si La Presse était actuellement rentable, la direction s’en féliciterait dans les médias. Or elle ne communique aucun chiffre à ce sujet, ce qui est d’ailleurs étonnant pour une entreprise de presse dont le métier repose sur la transparence et l’information« , commente Jean-Hugues Roy.
Jusque là, le titre pouvait compter sur le soutien de sa maison-mère, le groupe Power. Un soutien pas forcément désintéressé, lié à l’attachement du journal au fédéralisme, et à l’opposition de ses actionnaires à l’indépendance du Québec. L’ex-chef du Parti Québécois, Pierre Karl Péladeau, soutient ainsi sur son mur Facebook que la famille Desmarais (actionnaire de Power, la société-mère) tolère « cette charge financière uniquement pour maintenir une ligne éditoriale fédéraliste dans plusieurs médias québécois« .
Il est vrai que le fondateur de La Presse, Paul Desmarais, était un fédéraliste fervent. Dans une interview au journal The Gazette, en 1971, il expliquait ainsi son rachat de La Presse » : Oui, j’ai senti que, sans contrôle de la politique éditoriale, le journal pouvait facilement se conformer aux caprices de celui qui était là, qu’il y avait un groupe qui pouvait prendre le contrôle du point de vue de l’information. » Le journaliste interviewer le relance : « Vous voulez dire les séparatistes ? » Paul Desmarais : « Oui. »
2/ Audience et engagement
Globalement, trois ans après son lancement, en 2016, La Presse + enregistre 260.000 visiteurs uniques chaque jour de la semaine (hors WE, NDLR), et sa diffusion dépasse celle de l’édition papier, qui culminait à 208.000 exemplaires par jour de la semaine.
Le résultat le plus spectaculaire concerne l’engagement : alors que sur les sites Web classiques, la société Charbeat a calculé que 55% des lecteurs consacrent moins de 15 secondes (oui, « secondes ») à la lecture d’un article, les résultats concernant La Presse + sont impressionnants. Selon ses propres mesures, le temps de lecture moyen des internautes est de 44 minutes en semaine, de 50 minutes le samedi, et de 73 minutes le dimanche.
3/ Publicité
Non contente de vouloir offrir une information fiable, cohérente et structurée à ses lecteurs, La Presse + dépoussière aussi la publicité numérique. Ainsi, ses formats publicitaires sont ludiques : avec son site La boîte à outils La Presse + propose aux annonceurs et aux agences de télécharger des gabarits de publicités attractives et originales. Par exemple, le mode « cube pivotant », le mode « accordéon » (l’annonce comprend plusieurs onglets verticaux qu’il est possible de déployer), mode… L’imagination n’a plus de limite (secouer la tablette peut transformer en pop corn les grains de maïs en photo sur une pub, par exemple). Et les publicités, loin d’être agressives, semblent magnifiées par l’éclat que leur donne l’écran Rétina de l’iPad. La Presse a également lancé XTRA, un format de native advertising, dont on ignore la part dans les revenus publicitaires de La Presse +.
Les annonceurs sont-ils satisfaits ? L’annonceur Hydro-Québec a commandé une étude pour comparer les mérites respectifs de La Presse +, de la télévision et des réseaux sociaux pour une campagne publicitaire. En résumé, selon l’étude, « près de quatre personnes sur dix, abonnées ou ayant un accès gratuit à La Presse +, ont vu au moins une publicité d’Hydro-Québec au cours des dernières semaines (…) Un Québécois sur cinq mentionne avoir remarqué des capsules vidéo d’Hydro-Québec sur les médias sociaux. »
Autre atout : Le Presse a su se dépêtrer du modèle économique de la presse digitale classique, fondée sur la publicité générée par l’audience, pour revenir à un style de vente de publicités qui rappelle celui du papier : on ne vend pas seulement un « inventaire » ou une audience, mais des formats classiques, comme la page, la demi-page, ou le quart de page, avec une tarification claire… calée sur la grille de tarification du papier -et ses niveaux de prix élevés. Ainsi, le site du Nieman Lab rapporte que Pierre-Elliott Levasseur, alors vice-président de La Presse et nommé président en 2016, avait comparé le CPM (coût pour mille lecteurs) du tarif de ses demi-pages sur tablettes (42 dollars), avec les très faibles CPM obtenus sur les desktop (13 à 14 dollars) et les smartphones (2 à 3 dollars). Une excellente façon de fuir l’environnement ordinaire de la publicité en ligne, gangrené par la fraude au clic, décrédibilisé par les mesures d’audience incohérentes et contradictoires, phagocyté par les intermédiaires, fragilisé par les contraintes légales pesant sur l’utilisation des données personnelles, siphonné par Google et Facebook, et miné par une baisse tendancielle du CPM vers zéro. La Presse + a en fait inventé un modèle qui rend à la publicité d’image haut de gamme ses lettres de noblesses, et qui permet également une mesure précise de son efficacité.
4/ Un modèle exportable ?
La société souhaite vendre sa plate-forme à d’autres journaux, comme ce fut déjà le cas avec le Toronto Star et son application Star Touch. Pour quel montant ? Là encore, secret des chiffres. Guy Crevier, président de La Presse en 2014, avait alors évalué le prix de transfert de la plate-forme à 10 millions de dollars. Et le Toronto Star a déclaré avoir investi 14 millions de dollars dans l’application. Un investissement compensé par un miraculeux « crédit fiscal digital » de 13,4 millions de dollars, qui montre sans doute la voie à des aides à la presse plus généralisées et plus systématiques -un débat torride au Canada, où la grands médias se battent contre les exemptions fiscales dont bénéficie notamment Netflix, et demandent la mise en place d’aides gouvernementales à la presse, comme en Europe. Le résultat ? Peu convaincant : l’application Star Touch a été arrêtée le 31 juillet 2017. « En fait, le Toronto Star n’a pas voulu opter pour un modèle 100% gratuit, ils ont continué à proposer le journal papier payant, du coup peu de gens ont basculé sur l’application », explique un journaliste de La Presse. Autrement dit, le Toronto Star a acheté la plate-forme technologique, mais sans « acheter » la logique économique qui lui est en principe associée. A la place, le journal propose aujourd’hui une application « mobile » classique, la Toronto Star App.
5/ Ergonomie
Au-delà de la question de la rentabilité financière à court terme, qui ne semble pas avérée à ce jour, au-delà de la monétisation de cet engagement exceptionnel et de l’audience en or, reste l’essentiel. La Presse + est une pure merveille en matière d’ergonomie : fluide, intuitive, elle remet à l’honneur la mise en scène de l’info sur support numérique. Lire un article sur la Presse + est un vrai bonheur : les pages peuvent défiler de la gauche vers la droite et, lorsque le lecteur veut lire l’article, il le fait ensuite défiler du haut vers le bas. Les animations graphiques sont superbes et pertinentes.
Des vidéos enrichissent les articles -même si elles sont moins nombreuses que lors du lancement, une source interne indiquant que « les vidéos sont très peu visionnées, apparemment, le lecteur ne souhaite pas se lancer dans un visionnage de vidéo quand il est installé dans un mode « lecture de texte » Mais des vidéos d’actualité illustratives peuvent déclencher le « clic », comme celle où Donald Trump mime les terroristes du Bataclan en train de tirer sur les otages. La mise en page est soignée et structurée. Vous trouverez ici un port-folio qui reflète l’expérience-utilisateur avec un article sur la notation des citoyens en Chine, et ici une vidéo qui retrace cette expérience « en live » -le mieux étant de télécharger l’application pour la tester par soi-même -mais il faut disposer d’une tablette pour cela.
L’ergonomie de La Presse + nous rappelle que le métier d’un journaliste, c’est la production « d’in-formation », c’est-à-dire la « mise-en-forme » de l’actualité. Or, selon le philosophe Jean-Michel Besnier, interviewé dans le cadre de l’émission Vers un monde sans papier, sur Arte, « aujourd’hui l’information n’a plus « d’intention », elle est là, comme l’air, comme l’eau, comme tous les éléments naturels, et simplement il y a des dispositifs qui prélèvent « quelque chose » dans cet écosystème. Ce n’est plus l’art de donner forme à ce qui n’en a pas, in-former, « donner forme ».
Or c’est ce que fait justement La Presse +, avec sa mise en forme soignée et structurante, qui donne un sens aux actualités. En outre, la fluidité et son agréabilité encouragent la lecture, comme le montrent les chiffres de l’audience et de l’engagement.
De quoi lutter efficacement contre les torrents irrationnels de fake-news. Mais aussi contre la stratégie d’Etats illibéraux, qui tirent parti de cette confusion actuelle pour imposer, soit un « nouvel ordre mondial des médias« , soit une stratégie de « conflits de l’information » fondée sur la « dezinformatsiya« .
Une mission bien plus vaste que la seule défense du fédéralisme : Guy Crevier, vice-président de La Presse, a insisté le 10 avril dernier sur « le rôle des médias d’information, sur l’accès de la population à une information de qualité, sur le phénomène des fake news. […] Maintenant, ce modèle-là suppose que l’information devienne un bien public : elle n’est plus un bien privé. » Un bien public pour l’instant sponsorisé par les actionnaires privés, l’Etat canadien étant réticent à développer le système d’aides à la presse.
6/ Points faibles
Reste que La Presse + peut largement améliorer ses performances actuelles, en corrigeant quelques points faibles.
Ainsi, La Presse + n’est disponible que sur tablette, pas sur smartphone. Or selon le cabinet Deloitte, seuls 55% des Canadiens en possèdent une, et le marché des tablettes est en baisse : moins 6,5% pour les ventes en 2017 dans le monde, pour un total de 163,5 millions d’unités, contre 230 millions vendues en 2104, quand ce marché était à son apogée. Duncan Stewart, directeur de TMT research chez Deloitte, estime que les ventes au Canada suivent cette tendance à la baisse.
Une contrainte liées à un choix radical effectué avant le lancement, et qui risque de freiner le développement de l’application.
Mais La Presse n’est pas prisonnière de ses choix initiaux : dès 2015, Pierre-Elliott Levasseur affirmait « nous voulons être présents sur toutes les plate-formes qui permettent l’engagement du lecteur. (…) Nous travaillons sur un projet pour phablet« . Les phablets, ces smartphones grand format qui pourraient servir de relais de croissance aux tablettes, de même que les tablettes détachables, dont les ventes sont en augmentation.
Reste que le choix du grand format à tout prix, et du mode de lecture exclusivement horizontal, pose un problème de fond : dans quelle mesure peut-on imposer à des lecteurs un seul type d’appareil, la tablette, pour accéder à un média ?
7/ Les pistes pour l’avenir
La dotation de 50 millions de Power à la fondation qui abritera La Presse sera peut-être reconduite d’année en année, selon un modèle économique défendu depuis des années par l’économiste des médias Julia Cagé, auteur de « Sauver les médias » (éd. du Seuil). Mais sans doute va-t-il devenir indispensable de maximiser les chances d’augmenter l’audience et les revenus.
Et de rendre l’application compatible avec les smartphones, même s’il faudra sans doute pour cela revoir l’architecture apparemment très contraignante de La Presse + : le scroll vertical, plébiscité par les mobinautes, semble effectivement devoir être évité (la mise en page soignée et surtout les photos, en mode paysage, rendraient l’opération regrettable).
Mais une navigation exclusivement horizontale, comme sur la tablette, est envisageable. Certes, elle contraindrait les mobinautes à tenir leur smartphone en mode paysage, mais ce mode de lecture est indispensable pour s’adonner au « rituel de la lecture approfondie« , un concept phare de La Presse : le scroll vertical favorise en effet la navigation « zapping », nous scrollons vers le bas, d’un pouce impatient, à la recherche du shoot de dopamine créé par une succession rapide d’infos différentes -et nous cliquons plus souvent sur des infos relatives aux frasques de tel rappeur, de tel basketteur, ou de tel président des Etats-Unis, que sur des dossiers concernant le traité transatlantique CETA ou la politique de la Commission européenne -lesquels, quand ils sont présentés de manière esthétique et ludique, peuvent devenir, sinon passionnants, du moins intéressants.
Le mode de lecture « paysage », lui, demande un (petit) effort, mais nous installe consciemment dans un temps de lecture long qui favorise la concentration. Reste au final que les lecteurs devraient avoir le choix entre verticalité et horizontalité, puisque ce sont eux, après tout, qui feront le succès pérenne de La Presse +.
Quelles pistes examiner pour atteindre une rentabilité pérenne ? D’abord, la piste des « versements volontaires », encouragée par des start-up comme le News Revenue Hub, mise en place notamment au Guardian, au Voice of San Diego, et à Reporterre, comme l’explique cet article de Dans Mon Labo : entre la gratuité totale et l’abonnement payant, il existe en effet la voie de l' »adhésion », qui permet l’accès gratuit à toutes et à tous, mais encourage aussi les dons, lesquels peuvent disposer d’avantages spécifiques (visite de la rédaction, invitations à des événements…). Une piste 100% compatible avec le virage « philanthropique » initié par la reprise de La Presse par une fondation sans but lucratif. Et légitime aux yeux du public québécois, conscient des efforts fournis depuis cinq ans par La Presse pour lui offrir une info de qualité.
Ensuite, la piste des options payantes : pourquoi, par exemple, ne pas permettre la constitution payante d’un dossier d’archives persos ? Pourquoi ne pas permettre l’accès gratuit qu’aux seuls articles principaux, et réserver les « encadrés », modules complémentaires, graphiques animés et vidéos à ceux qui payent leur « adhésion » ?
Des options payantes, le développement des « adhésions », la vente de la licence à d’autres journaux (pour peu qu’une certaine souplesse soit conférée à la plate-forme, notamment la compatibilité avec les smartphones)… Autant de voies d’avenir. Plus les journaux sont nombreux à adopter la plate-forme, plus celle-ci pourra contribuer à la création d’un nouvel écosystème publicitaire pour la presse en ligne.
Un écosystème où le CPM est valorisé à 40 dollars ou plus, contre 5 à 10 pour la pub Web classique, et 2 ou 3 sur le Web mobile. Et c’est peut-être la solution d’un modèle économique pérenne pour La Presse, et la clé de la rentabilité pour d’autres titres canadiens, afin qu’ils conservent à la fois leur indépendance, leur souveraineté, et leur vertu fédératrice.
Laurent Calixte
BONUS 1 :
En cliquant sur ce lien, vous découvrirez comment un lecteur de La Presse + lit un article. Après avoir cliqué sur le lien, les photos de chaque page-écran de l’article vont apparaître. Cliquez sur la première photo en haut à gauche, puis sur la flèche de droite pour faire défiler les autres photos. (Bien entendu, pour vivre l’expérience de la façon la plus réaliste, mieux vaut télécharger l’application, mais il faut disposer d’une tablette.)
BONUS 2 :
En cliquant sur ce lien, vous découvrirez comment un lecteur de La Presse + lit un article, mais cette fois c’est une vidéo qui a filmé l’expérience-utilisateur. Le lecteur fait défiler les rubriques vers la gauche, et quand un article l’intéresse, il le fait défiler vers le bas. (NB : la vidéo est mal filmée (mauvais cadrage, tremblements), car l’auteur de ces lignes n’est pas vidéaste de formation. Il vous présente ses excuses.)