
Débat animé par Jean-François Hattier, expert acquisition abonnés, lors de La Presse au futur, 2021.
Avec la participation de :
– Anne Evrard, Directrice Marketing Clients / Diversification – Groupe Le Figaro
– Tatiana de Francqueville, Directrice marketing et développement – La Tribune
– Thierry Duqueroy, Directeur marketing et diffusion – Que Choisir
– Olivier Porte, Directeur commercial et marketing – Ouest France
Jean-François Hattier : Bonjour à toutes et à tous, qu’avez-vous retenu d’essentiel des dix derniers mois que nous avons traversés ? Je propose à Anne de commencer à intervenir sur ce sujet.
Anne Evrard, Directrice Marketing Clients / Diversification – Groupe Le Figaro :
Nous avons mis en place une organisation à distance qui a été assez efficace, et cette crise a accéléré des tendances de fond de notre activité : déclin de la publicité traditionnelle et accélération du numérique, avec des trafics record, comme 28 millions de visiteurs en mars, et des ventes d’abonnements qui ont été multipliées par trois ou quatre pendant le premier confinement. On a noté un vrai soutien de nos lecteurs et une appétence pour des contenus de qualité et vérifié. Quand on regarde nos cohortes de mars à juin, on a eu une meilleure fidélisation de 8% supérieure à celles de janvier et février. On a pu noter aussi une très bonne tenue de notre portefeuille Print, malgré une distribution postale qui n’a pas été toujours très régulière. Donc pour nos lecteurs et nos revenus, ça a été une bonne année.
Olivier Porte, Directeur commercial et marketing – Ouest France :
Le mot principal, c’est qu’on s’est mis au service des lecteurs. Nous nous sommes mis en ordre de marche pour rendre service, pour être utiles -par exemple nous avons été le premier quotidien à mettre à disposition des attestations de sortie lors du confinement- et ce qui fait plaisir, c’est qu’on n’a jamais eu autant d’acheteurs et de lecteurs. Et aujourd’hui, on se rend compte que cette mise à disposition de l’ensemble des contenus de Ouest-France a entraîné un retour, car on n’a jamais eu autant d’abonnements que ces derniers mois.
Tatiana de Francqueville, Directrice marketing et développement – La Tribune :
2020 a été surtout pour nous l’occasion de renforcer notre offre éditoriale, notamment via des éditions spéciales, via des émissions économiques “live”, qui ont rencontré leur public : notre audience a plus que doublé sur la période, ce qui a aussi entraîné une augmentation des abonnements. Comme La Tribune est très bien implantée dans les territoires, avec ses équipes locales, nous avons mis en place des dispositifs d’accompagnement dans la gestion de cette crise sanitaire et économique. Au niveau des chiffres : pendant le confinement, nous avons multiplié par 5 le nombre des inscrits, et nous avons multiplié par 100 [oui j’ai bien entendu 100 NDLR] le nombre d’abonnés. Nous avons enfin profité de la période pour devenir un pure player, en transformant le papier en une revue bimestrielle, et en lançant en studio TV. Alors je confirme que l’abonnement a le vent en poupe.
Jean-François Hattier : qu’avez-vous développé au sein de vos médias respectifs en termes de proposition de valeur ? Qu’avez-vous travaillé la mise en scène, l’expérience utilisateur, et avec quels résultats ?
Tatiana de Francqueville, Directrice marketing et développement – La Tribune
Ce qui était important pour nous, c’était de continuer la conversation avec nos lecteurs. Depuis plusieurs années, La Tribune a constitué des communautés professionnelles très fortes autour des grandes thématiques, comme la transition écologique, de “tech innovation », de finance verte, etc.
Nous avons donc beaucoup développé les newsletters, en empruntant les codes associés aux réseaux sociaux, en opposition avec les newsletters très longues, très rédigées. Alors ces newsletter incluent des, mais aussi des indicateurs, des chiffres, le regard d’un sociologue ou celui d’un philosophe, pour créer un “effet papillon”, grâce aux signaux faibles qui peuvent intéresser tous les décideurs économiques. Nous avons aussi proposé des formats longs, pour traiter en profondeur les secteurs très impactés par cette crise, comme l’aéronautique, par exemple. Nous misons aussi sur le recrutement, notamment de data journalistes.
Olivier Porte, Directeur commercial et marketing – Ouest France
Nous avons l’immense bonheur d’avoir 550 journalistes et 2 600 correspondants, donc nous produisons des centaines de contenus par jour. Ce qui est important, c’est de garder une chronologie entre le “lecteur” et “l’ambassadeur » : un lecteur, il faut d’abord qu’il s’engage, mais pour l’abonnement, il faut être patient. Et quand il sera abonné, il pourra devenir ambassadeur de la marque auprès de ses proches. Nous suivons donc avec attention le “parcours lecteur” : ainsi, par exemple, le lecteur va s’inscrire à une newsletter, puis il va se connecter pour avoir de nouveaux services, et puis il va s’abonner, et ensuite il va devenir un “ambassadeur” du titre parce qu’il sera tellement content de son expérience lecteur-abonnés qu’ il va en parler à beaucoup de monde.
Donc nous voulons garder une forme de chronologie : d’abord satisfaire le lecteur pour qu’il devienne abonné et ensuite ambassadeur.
Anne Evrard, Directrice Marketing Clients / Diversification – Groupe Le Figaro
Nous avons développé beaucoup de contenus “pure premium”, réservés exclusivement aux abonnés. Contrairement à ce qu’a fait La Tribune, nous proposons plutôt des newsletters rédigées, par des journalistes. En 2020, nous avons proposé 11 lettres rédigées par des journalistes experts (politique, économie, religion, musique classique, séries télé…)
Et ce avec une grande proximité entre l’auteur et l’abonné : les lettres sont souvent rédigées à la première personne, il y a les adresses mail pour contacter le ou la journaliste. Nos newsletter obtiennent en moyenne 60 % de taux d’ouverture, ce qui est extraordinaire, et le taux de churn (désabonnement, NDLR) est meilleur pour les abonnés aux lettres. En septembre, nous avons lancé la lettre du Fig Mag, qui est la lettre du weekend.
Jean-François Hattier : quand tu parles de newsletter de contenu, tu veux dire que le contenu est à l’intérieur de la newsletter, c’est ça ?
Anne Evrard, Directrice Marketing Clients / Diversification – Groupe Le Figaro
Oui, les lettres sont rédigées, on peut les lire entièrement sans avoir à lire la suite sur le site.
Thierry Duqueroy, Directeur marketing et diffusion – Que Choisir
Pendant le confinement, nous avons multiplié par 10 les informations qui tombaient sur le site. Nous avons mis à disposition des outils pour les consommateurs, comme par exemple le dossier des remboursements aériens, avec des lettres-types qu’ils pouvaient télécharger, puis remplir et expédier directement aux compagnies aériennes. Plus de 300 000 de ces lettres ont été téléchargées. Nous avons aussi lancé une newsletter hebdomadaire sur la crise du Covid, où on a par exemple annoncé qu’on pouvait laver les masques.
Jean-François Hattier : quelle importance accordez-vous à la data au sein de vos organisations ?
Olivier Porte, Directeur commercial et marketing – Ouest France
Alors je vais dire une banalité, mais pour nous, la data doit être au service du lecteur, elle doit nous permettre de mieux comprendre ses attentes et ses besoins, donc on a créé une grosse équipe data.
Anne Evrard, Directrice Marketing Clients / Diversification – Groupe Le Figaro
Au niveau de la data, nous regardons beaucoup les articles qui sont lus par les abonnés, et aussi les articles qui recrutent des abonnés. Et oui, la rédaction est bien alimentée en données, elle sait quels sont les articles qui font de l’audience, heure par heure, voire minute par minute, les articles que lisent les abonnés, les articles qui recrutent… Et on va plus loin avec la détection des thématiques et des articles qui fidélisent. Nous avons un gros service data avec des “data analysts” qui sont au sein du “marketing clients”, dans mon équipe, et qui nous alimentent en dashboards, en données, etc… Nous avons déterminé des “Persona” avec des KPI descriptifs, des scores prédictifs, et avec ces données, nous activons des cibles, avec par exemple des e-mails marketing.
Avec les emails personnalisés, nous arrivons à multiplier par 3 nos scores d’acquisition.
En fait, tout se joue dans les 15 premiers jours de l’abonnement : donc nous soignons l’onboarding avec des emails pour inviter à consommer du contenu, et nous permettre de soigner les KPI importants comme la fidélisation, l’acquisition et le churn.
Thierry Duqueroy, Directeur marketing et diffusion – Que Choisir
Nous avons personnalisé nos newsletters, à la fois sur le contenu, la forme et le timing (l’heure d’envoi, NDLR.) Et, depuis, nous avons un taux d’ouverture de 60 à 70 %.
Mais attention à l’excès de personnalisation : nous pouvons envoyer ces mails en fonction des centres d’intérêt des lecteurs, mais il ne faut pas non plus les enfermer dans une bulle, ce qui serait en contradiction avec notre contrat de lecture, à savoir : “Ouest-France, de la commune au monde”.
Tatiana de Francqueville, Directrice marketing et développement – La Tribune
Concernant la personnalisation, oui, il ne faut pas enfermer le lecteur dans la bulle de ce qu’il aime lire. Je voudrais insister sur deux points : d’abord, il est très important de partager ces données d’audience et ces informations avec la rédaction. Ensuite, il est important de bien suivre tous les indicateurs, comme les tunnels de conversion ou le churn. On ne s’adresse pas de la même façon à un lecteur volatile et un lecteur régulier, ou à quelqu’un qui vient pour la première fois depuis les réseaux sociaux, ou à quelqu’un qui se connecte au site via la newsletter.
Thierry Duqueroy, Directeur marketing et diffusion – Que Choisir
Chez nous, la politique “data” est un peu particulière, puisque notre association a une position très forte en matière de protection des données et de tracking. Nous n’avons par exemple aucun tracking individuel, on n’utilise que les mesures de trafic, comme celui des “landing pages”, le taux d’ouverture, le taux de rebond, et la durée de la consultation. Donc nous collectons très peu de données personnelles.
Jean-François Hattier : quel est l’impact des prix et des promotions sur la gestion des abonnés ? Car le principe général semble toujours le même : on a une première période très discount à 0 € et 1 € par mois, et puis on passe au tarif cible. Est ce toujours le cas ?
Anne Evrard, Directrice Marketing Clients / Diversification – Groupe Le Figaro
Nous suivons nos cohortes d’abonnés mois par mois, et nous avons remarqué que plus la période d’essai est longue, meilleur est l’engagement. Mais tout ça est lissé au bout du cinquième mois. Avant, de janvier à mars, nous avions une période d’essai plus longue, de 2 mois, car on avait observé que l’engagement était meilleur. À partir d’avril, nous avons réduit cette période d’essai à un seul mois. Et ça a été gagnant du point de vue de l’ARPU (revenu par abonné NDLR). À 3 mois, l’engagement est meilleur sur une durée un peu plus longue, mais c’est moins bon en ARPU, et tout ça est lissé au bout de 5 mois. Et ce sont les offres qui ont un engagement un peu plus faible qui ont une meilleure rentabilité.
On ne fait pas de paywall dynamique, donc quand on a une offre, on essaie de faire la même un peu partout, sur tous les leviers. Mais on fait aussi des offres Flash : pour le Black Friday, par exemple, on a essayé une vente flash avec un prix réduit mais sans période d’essai à prix bas. Et ça a très bien marché aussi. Et on pense que ce sera aussi meilleur sur le churn.
Olivier Porte, Directeur commercial et marketing – Ouest France
Nous avons 550 000 abonnés à Ouest-France quand on compte le print et le digital. Notre combat porte sur l’accessibilité et sur le prix : le quotidien print coûte 1,10 euros seulement, contre 3 euros pour le Figaro. Nos 2 axes : d’abord, engager les lecteurs à se connecter puis à essayer l’abonnement avec une offre gratuite et sans engagement. Ensuite, il y a le passage du gratuit au payant, un message pour l’abonnement payant, et là, nous avons obtenu de très bons résultats. Les traceurs vont disparaître et le mode connecté va s’imposer. Notre premier tarif en abonnement est à 4,99 €.
Tatiana de Francqueville, Directrice marketing et développement – La Tribune
Oui, tout se joue dans les 15 premiers jours ou dans le premier mois. Nous avons simplifié nos offres et nous les avons rendues plus accessibles : 1 euro le premier mois, puis 9 euros par mois ensuite. Concernant le paywall dynamique : nous proposons plutôt la même offre à tout le monde, mais nous allons effectivement personnaliser la communication avec les utilisateurs en fonction de leur parcours, de leur source de provenance, ou de leur fidélité.
Thierry Duqueroy, Directeur marketing et diffusion – Que Choisir
Concernant notre politique de prix, il faut distinguer le Print et le Web. Pour le Print, nous avions fait une baisse de prix il y a 2 ans pour le recrutement : j’avais baissé les prix pour répondre à mon concurrent qui cassait ses tarifs. Pour le web, je n’ai pas baissé d’un iota les tarifs. Alors il faut savoir qu’à Que Choisir, l’abonné papier n’a pas accès au web gratuitement, il a simplement une réduction de 50 % sur l’abonnement web. Mais c’est parce que le Web est un service spécifique, ce n’est pas simplement la reproduction sur le Web des articles papier. Mais aujourd’hui, ça fonctionne aussi dans l’autre sens : un abonné Web peut avoir accès à l’abonnement “papier” à demi-tarif. Et aujourd’hui, nous avons deux fois plus d’abonnés “Web” qui prennent l’abonnement papier à 50 %, que d’abonnés “papier” qui prennent l’abonnement Web à 50 %.
Jean-François Hattier : quel est l’intérêt de créer un club de lecteurs ?
Olivier Porte, Directeur commercial et marketing – Ouest France
Nous avons créé “La place”, mais ce n’est surtout pas un “club”, c’est une “plateforme d’engagement”. Son but, c’est de permettre à nos abonnés de passer d’un média d’information à un média de conversation, d’entrer en contact avec le journal, et de lui offrir des “preuves d’amour”, comme des places pour un match de foot ou un concert de Patrick Bruel.
Nous avons gagné notre pari, qui était de gagner un mois de vie supplémentaire sur les abonnements. Comme l’ARPU mensuel est de 22 euros, eh bien 22 euros multipliés par 550 000 abonnés, ça représente des sommes considérables.
Aujourd’hui, on a donc allongé la durée de vie de l’abonnement. Seul bémol , en terme de méthode, on ne peut pas savoir si ce mois supplémentaire a été gagné exclusivement grâce à la plateforme, car on n’a pas de “population-témoin” n’ayant pas accès à la plate-forme, donc il est difficile de dire que le mois de vie gagné est due uniquement à la plate-forme d’engagement.
Anne Evrard, Directrice Marketing Clients / Diversification – Groupe Le Figaro
Le club “Figaro Privilèges” existe depuis 2008 : il s’adresse à tous les abonnés, et inclut des avantages tarifaires avec des partenaires, mais aussi des invitations à des événements culturels, et des avantages comme les frais de port gratuits pour les articles achetés sur le Figaro Store. Ça ne peut pas être testé, donc ça s’adresse à l’ensemble des abonnés.
On a fait plusieurs études depuis 2008 : le Club a une très bonne notoriété, mais c’est difficile de mesurer la rentabilité ou l’impact sur la fidélisation. Nous avons aussi une offre qui concerne aussi le Print avec Premium Plus, qui propose des avantages, des invitations.
Tatiana de Francqueville, Directrice marketing et développement – La Tribune
La Tribune est l’un des plus gros organisateurs d’événements sur le territoire. C‘est une façon d’animer nos communautés, et ce que je retiens, c’est cette notion de “service” que nous continuons d’apporter à nos lecteurs, à travers cette promesse autour de la transformation et des territoires. Donc en effet, on réfléchit aussi du côté de La Tribune à formaliser des offres de services qui viennent renforcer cette dimension de proximité avec le lecteur.
Thierry Duqueroy, Directeur marketing et diffusion – Que Choisir
C’est une réflexion que nous avons eue mais aujourd’hui ce n’est plus notre priorité.
Jean-François Hattier :
Il me reste à vous remercier pour votre temps, pour conclure je retiens quelques éléments très importants : d’abord, la notion de confiance et de service pour les lecteurs. Je note aussi l’importance de l’adaptation, que ce soit d’un titre à l’autre ou au sein d’un même titre. Et enfin, le maître mot, c’est l’engagement. Merci à toutes et à tous.
